N'est-il pas vrai que notre bonne vieille Tunisie est âgée de près de trois mille ans ? Même si en ces temps lointains on se bornait à l'appeler Ifriqia… Bref, que ce soit l'un ou l'autre, nos ancêtres étaient bel et bien là, rivés à cette terre au parfum à nul autre pareil. Il y a eu Hannibal, et avant lui d'autres gens peut-être plus intéressants, comme ce pays a enfanté des sommités que l'histoire a recensées. Le passé ne saurait donc être gommé, ou passé sous silence, sous prétexte que la Tunisie est née à partir du 20 mars 1956, date officielle de son indépendance. Parce que la Tunisie, même sous le joug colonial, a toujours existé ! Que ce soit sur le plan politique, culturel ou sportif…
Contentons-nous d'aborder le volet sportif et laissons le soin aux spécialistes d'étudier les autres aspects du vécu de nos ancêtres.
Qu'on le veuille ou pas, si l'Espérance Sportive de Tunis peut se targuer aujourd'hui d'être le doyen des clubs essentiellement tunisiens et à l'avant-garde de la lutte anti-coloniale, le Club Sportif d'Hammam-Lif, lui, est en droit de revendiquer son incontestable leadership sur la scène footballistique locale, jusqu'à l'aube de l'indépendance totale !
Peut-on le lui reprocher ? Absolument, et logiquement pas.
En effet, après la seconde Guerre Mondiale, l'Espérance et son président d'honneur, Habib Bourguiba, brandissaient la bannière nationaliste pure, aidés en cela par le Club Africain, le Club Tunisien de Sfax, l'Etoile Sportive du Sahel - obligée de concurrencer la Patriote de Sousse-, le Club Athlétique Bizertin en lutte directe avec le Patrie Football Club Bizertin - et bien d'autres associations moins illustres. Chacun à sa façon, avec des fortunes diverses. Car les géants de la place étaient soit français ou italiens. Du nom de l'Aurora, de l'Italia, du Stade gaulois, de l'Association Sportive Française, ou de l'Union Sportive Tuni-sienne, le porte-drapeau de la population juive.
Il va sans dire que les "invités" étaient privilégiés sur tous les plans, même si nos amis Italiens ont d√ª souffrir mille maux, par la faute du Duce Benito Mussolini qui a outrageusement frayé avec le Fuhrer Adolf Hitler.
Bref, on s'est contenté à l'époque de souligner avec force "you-you", à Bab Souika la victoire en Coupe de Tunisie (1939) de l'Espérance Sportive de Tunis, et de regarder les autres se partager les lauriers.
Puis apparut le Prince Slaheddine, le benjamin des descendants de Sidi Lamine Pacha Bey. Un jeune homme qui, par son culot, a bouleversé les traditions du palais en osant courir, plutôt mal que bien, derrière un ballon et en tapant dessus tel un forcené. Mal, ai-je dit ? Eh bien, le petit prince se fera plaisir par surdoués interposés. Il mettra alors la main sur le Club Sportif d'Hammam-Lif créé par le regretté Sadok Boussoffara pour en faire son "jouet" personnel. Un jouet de luxe, capable d'éclipser et de rejeter à l'arrière-plan tous les autres concurrents. Qu'ils soient français, italiens, maltais ou espagnols. Avait-il conscience ou pas de combattre l'hégémonie européenne et d'affirmer l'émergence du nationalisme ? Là n'est pas notre problème.
Toujours est-il que le Prince Slaheddine bouleversa de fond en comble le paysage footballistique tunisien ! Balayant tout sur son passage, sans jeter le moindre regard sur les "dégâts".
Pour ce faire, il engage les notoriétés locales, tunisiennes et étrangères, et n'hésite pas à puiser dans les réservoirs algériens et libyens. Mais ce n'est pas tout ! Puisque le Prince ramène de France toutes les publications ayant trait au sport roi. Je dis bien toutes, pour apprendre à gérer un club professionnel et à le porter vers les sommets.
Ainsi naquit le Club Sportif d'Hammam-Lif !
Les années de gloire
Et la gloire ne tarda pas à pointer à l'horizon, sous le regard effaré de la Cour du Bey. Lui qui comprenait mal la passion de ce sang bleu pour une activité salissante et avilissante. Car, faut-il le rappeler, Sidi Lamine n'avait de passion que les montres, horloges et autres mécanismes. Mais on lui passa cette tocade, quitte à l'autoriser à b√¢tir une aile attenante au palais, en guise de siège à ce club d'hurluberlus.
1947, le CSHL remporte la Coupe de Tunisie. Il récidive en 1948, puis en 1949, 1950, 1951, 1954, et 1955. Et s'il a sauté les éditions de 1952 et 1953, c'est seulement à cause de l'arrêt de la compétition, des suites de l'insurrection nationale.
Quatre championnats sont également à inscrire au palmarès de ce club professionnel : 1951, 1954, 1955 et 1956. Avec trois doublés à la clé !
Comment expliquer ces succès à répétition ? Au détriment des clubs européens ? Slaheddine Bey, avant tous les autres, avait instauré le régime de l'entraînement quotidien, alors que la concurrence se limitait à des séances bi-hebdomadaires, les mardi et jeudi. Cet avantage indéniable sur le plan de la résistance physique, ajouté au talent de l'effectif, joua comme de bien entendu en faveur des "Vert et blanc".
Vainqueurs, les poulains du prince n'avaient pas à se plaindre de ses largesses. Vaincus, ils pouvaient s'attendre au pire des châtiments. Tel cet épisode qui a fait rire la Tunisie entière, lorsque Slaheddine Bey en personne, au lendemain d'une humiliande défaite, emmena ses joueurs -à l'exception de Moncef Kbili- chez le figaro du Rond-Point. Non pas pour un shampoing-friction mais pour leur tondre la crinière. Et le dimanche suivant on a assisté à un spectacle bizarre et hilarant. Avec dix joueurs à la Kojak…
Cette discipline de fer a payé et les Hammam-Lifois purent se targuer d'avoir la meilleure équipe de Tunisie. La plus forte et la plus solidaire. Qui se comporta en tant que professionnelle ! De cela les Ali Zegouzi, Fanfan Cassar, Gaetan Chiarenza, les frères Hénia et tant d'autres authentiques vedettes qui ont porté la prestigieuse casaque hammam-lifoise peuvent l'attester.
Le retour de manivelle
Puis lorsque a sonné l'heure de l'indépendance, le vent a tourné. En sens contraire, bien s√ªr. Le palais beylical ayant été fermé pour toujours, il n'y avait plus personne pour financer la marche du club. Ali Zegouzi, Abdelhafidh et le regretté Abdessalem rentrèrent chez eux, à Tripoli. Les Algériens Krimou et Abdelkader optèrent pour l'Union Sportive Tunisienne, ainsi que le formidable ailier gauche Mejri Hénia. Et, du jour au lendemain, le Club Sportif d'Hammam-Lif se trouva obligé de faire confiance aux enfants de la cité pour survivre. Sans rougir le moins du monde face à la concurrence.
On découvrit alors les Taoufik Slaoui, Mustafa Moujahid (le frère aîné de Temime), les regrettés Abdelaziz Zouari et Sa√¢d Karmous etc… Puis les frères Ben Youssef, Slim Ben Rejeb… Mais le CSHL n'avait plus les moyens de jouer les premiers rôles. Il fallut attendre jusqu'à 1985 pour voir enfin les héritiers de Slaheddine Bey renouer avec la victoire en Coupe de Tunisie aux dépens du tout-puissant Club Africain.
Aujourd'hui, les héritiers des illustres précédesseurs ont offert à la ville qui les abrite le premier trophée du nouveau millénaire. Sur le chemin du retour, ils ont bifurqué par Ez-Zahra pour brandir la Coupe devant le domicile de Slaheddine Husseyni, ex-prince mais toujours hammam-lifois de cœur…
Jamil
source : realites.com.tn |